DISCUSSION
L’anomalie électrolytique la plus fréquemment observée dans la pratique clinique est l’hyponatrémie, que l’on retrouve également chez jusqu’à 30 % des patients hospitalisés.3 Dans l’étude de Liamis et al,2 l’hyponatrémie était la troisième anomalie électrolytique la plus fréquemment détectée chez 127 patients alcooliques chroniques hospitalisés, avec une prévalence de 17,3 %. Traditionnellement, l’évaluation de l’hyponatrémie commence par la détermination de l’osmolalité sérique, suivie d’une évaluation clinique du statut volumique (voir encadré : Causes courantes de l’hyponatrémie). La plupart des hyponatrémies cliniques sont associées à une faible osmolalité sérique.
Causes courantes d’hyponatrémie
Hyponatrémie avec osmolalité élevée
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Hyperglycémie, perfusion de mannitol, insuffisance rénale avancée
Hyponatrémie à osmolalité normale
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Hyperlipidémie, paraprotéinémie
Hyponatrémie à faible osmolalité
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Hyponatrémie hypovolémique
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– Déplétion volumique avec perte de sodium en excès par rapport à l’eau
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Hypervolémique hyponatrémie
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– Insuffisance cardiaque, cirrhose, syndrome néphrotique
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– Syndrome de l’hormone antidiurétique inappropriée, réinitialisation de l’osmostat
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– Hypothryoïdisme, déficit en glucocorticoïdes, insuffisance rénale
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– Polydipsie primaire, potomanie à la bière, faible apport en soluté
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– Médicaments, y compris les diurétiques thiazidiques
Hyponatrémie euvolémique
Chez les patients ayant une fonction rénale normale, une ingestion excessive d’eau n’entraîne pas d’hyponatrémie sévère en raison de la capacité des reins à excréter de grandes quantités d’eau libre, à condition que l’apport alimentaire quotidien en soluté soit normal. Par exemple, si l’apport quotidien normal de soluté se situe entre 600 mOsm/jour et 900 mOsm/jour pour un individu suivant un régime occidental typique, et si la capacité de dilution urinaire maximale est de 50 mOsm/kg, une personne ayant une fonction rénale normale serait capable d’excréter entre 12 L et 18 L d’eau libre par jour sans devenir hyponatrémique. En revanche, si une telle personne ne consomme quotidiennement que 200 mOsm à 300 mOsm de soluté, sa capacité à excréter de l’eau libre se limite à 4 L/jour à 6 L/jour, à condition qu’elle soit capable de diluer son urine au même degré.4 L’ingestion d’un volume de liquide supérieur à cette quantité entraînera une hyponatrémie de dilution. De plus, l’ingestion de grands volumes de liquide chez ces patients entraîne l’élimination du gradient de concentration d’urée médullaire, ce qui réduit la capacité des reins à produire une urine diluée au maximum5. Lorsqu’un soluté supplémentaire est apporté, une diurèse vive s’ensuit, entraînant une augmentation rapide des concentrations sériques de sodium, nécessitant une surveillance attentive et fréquente ainsi que l’administration de liquides exempts d’électrolytes ou même d’analogues de l’hormone antidiurétique si le sodium sérique augmente de plus de 8 mEq/24 heures à 10 mEq/24 heures.
Précipiter le syndrome de démyélinisation osmotique (SDO) chez les patients chroniquement hyponatrémiques en perfusant une charge saline est un réel danger5. Des rapports de cas d’ODS avec correction rapide du sodium chez des patients atteints de potomanie à la bière ont été publiés. Dans une revue de la littérature effectuée par Sanghvi et al,6 sur 22 patients atteints de beer potomania, 4 (18%) présentaient un SDO. Bien que la perfusion d’une solution saline hypertonique ait été classiquement associée au développement d’un SDO, Karp et Laureno7 suggèrent que la correction rapide de l’hyponatrémie peut se produire même avec la perfusion d’une solution saline normale ou avec une restriction liquidienne seule, entraînant un SDO. Sur la base de la physiopathologie sous-jacente de la potomanie à la bière, Sanghvi et al6 ont formulé des recommandations cliniques pour la prise en charge de ces patients (voir encadré : Recommandations de prise en charge de l’hyponatrémie causée par la potomanie à la bière).
Recommandations de gestion pour l’hyponatrémie causée par la potomanie à la bière
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Rien par la bouche à l’exception des médicaments pendant 24 heures
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Pas de liquides intraveineux sauf si symptomatique
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Prescription de liquides intraveineux en quantités finies si nécessaire
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Statut de soins intensifs
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Vérification du sodium sérique toutes les 2 heures
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Buts
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– Augmentation du sodium sérique < 10 mEq/L dans les 24 premières heures
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– Augmentation du sodium sérique < 18 mEq/L dans les premières 48 heures
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Réduire le taux de sodium sérique si nécessaire
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Donner tout médicament intraveineux dans une solution sucrée (5% de dextrose dans l’eau)
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Si un apport calorique est nécessaire, utilisez une solution sucrée intraveineuse (5 % de dextrose dans l’eau)
En raison du risque de correction trop rapide du sodium sérique entraînant des conséquences neurologiques irréversibles chez ces patients atteints de potomanie à la bière, des soins intensifs et des mesures fréquentes et en série des électrolytes sériques sont recommandés.
L’histoire de notre patient, son état clinique euvolémique et sa diurèse rapide en réponse à 1 L de solution saline normale intraveineuse administrée au service des urgences nous ont amenés à soupçonner qu’il souffrait effectivement de potomanie à la bière. Notre patient consommait 12 canettes (12 onces chacune) de bière par jour, soit environ 4,3 L. Selon le contenu publié de la bière, l’apport en soluté de notre patient était d’environ 30 mEq de potassium, 7 mEq de sodium, 150 g de glucides et 20 g de protéines par jour. Si le métabolisme de chaque 10 g de protéines entraîne la production de 50 mmoles d’urée, nous estimons que l’apport quotidien en soluté de notre patient se situait entre 200 mOsm/jour et 250 mOsm/jour. Notre patient étant plus âgé, il était peu probable qu’il puisse diluer au maximum son urine à 50 mOsm/kg, car avec l’âge, la capacité des reins à produire une urine diluée diminue.8 Cette capacité est en outre limitée par le lavage du gradient de concentration médullaire dû à une consommation excessive de liquides. Si l’urine diluée maximale que notre patient pouvait produire était de 75 mOsm/kg plutôt que de 50 mOsm/L, avec un apport quotidien de soluté de 200 mOsm/jour à 250 mOsm/jour, il ne devrait boire que plus de 2,7 L à 3.3 L de liquide par jour avant de devenir hyponatrémique, ce qui était bien en deçà de la fourchette de son apport.
Après la correction initiale de son hyponatrémie au cours des 48 premières heures, son sodium sérique est resté dans la fourchette de 130 mEq/L à 133 mEq/L pendant le reste de son hospitalisation. Son hyponatrémie persistante était très probablement due à un syndrome sous-jacent de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique due à un cancer métastatique ou à une remise à zéro de l’osmose en raison de son mauvais état nutritionnel, d’une tumeur maligne ou de l’alcoolisme.9,10 Sa tendance sous-jacente à l’hyponatrémie a empêché son sodium sérique de se corriger de façon excessive pendant que son apport en solutés augmentait et que son intoxication à l’eau se résolvait.