Le régime provisoire
C’est donc avec l’aide soviétique que le président Beneš et son gouvernement reviennent à Prague le 16 mai 1945, après près de sept ans d’exil. On pensait que son intention était de restaurer en Tchécoslovaquie le régime démocratique libéral qui s’était effondré sous l’assaut nazi en 1938. Il ne s’agirait pas d’une réplique exacte mais d’une version « améliorée » adaptée aux nouvelles circonstances. En particulier, l’État tchécoslovaque devait être plus homogène sur le plan ethnique : le problème des minorités devait être résolu par des expulsions à grande échelle des Allemands et des Hongrois du pays. (En fin de compte, Beneš ne parvint pas à expulser les Hongrois, mais seulement à confisquer leurs biens). Le pays devait rester une république dont le président conserverait des pouvoirs constitutionnels et exécutifs considérables ; un gouvernement fondé sur les résultats électoraux de certains partis politiques dirigerait le pays au moyen d’une fonction publique professionnelle, tandis que le pouvoir judiciaire appliquerait les lois votées par le parlement – l’Assemblée nationale. Dans sa quête d’amélioration, Beneš a décidé de limiter le nombre de partis politiques à six. (Par la suite, deux partis supplémentaires ont été autorisés en Slovaquie, mais trop tard pour les élections de 1946). À l’automne 1945, Beneš nomme l’Assemblée nationale provisoire, qui le réélit président et confirme dans ses fonctions le gouvernement provisoire, dirigé par Fierlinger, qu’il avait nommé en avril. Le vice-premier ministre est Gottwald, et les chefs des autres partis politiques sont également vice-premiers ministres. Des élections générales sont prévues pour légitimer le régime provisoire ainsi que pour tester l’acceptation par la nation de ce nouvel ordre, conformément à l’accord des Alliés lors de la conférence de Yalta en février 1945.
Le 26 mai 1946, le Parti communiste de Tchécoslovaquie remporte une grande victoire aux élections générales, en recueillant 2 695 293 voix – 38,7 % du total. Plusieurs facteurs ont contribué au succès des communistes, notamment la trahison de la Tchécoslovaquie par les puissances occidentales dans le cadre des accords de Munich et un sentiment de solidarité panslave ressuscité, alimenté par un fort sentiment anti-allemand. Gottwald devient premier ministre et les communistes prennent le contrôle de la plupart des ministères clés, notamment ceux de l’intérieur, de l’information, de l’agriculture et des finances. Jan Masaryk (le fils de Tomáš Masaryk) conserve toutefois les affaires étrangères, et le général Ludvík Svoboda reste ministre de la défense.
Bien que les partis politiques aient formé une coalition appelée Front national, la collaboration entre les communistes et les non-communistes a été difficile dès le début. Si tous les partis étaient d’accord pour que la relance économique reste la priorité, et si un plan de deux ans a été lancé pour la mener à bien, ils ont commencé à diverger sur les moyens à employer. Les non-communistes ne voulaient pas de nouvelles nationalisations ou confiscations de terres, pas d’impôts spéciaux pour les riches, des augmentations de salaire pour la fonction publique et, surtout, une aide économique des États-Unis par le biais du plan Marshall. Le conflit s’aiguise au cours de l’été 1947, lorsque le gouvernement accepte d’abord l’aide du plan Marshall, puis la rejette en raison de la pression exercée par l’Union soviétique. Bien que les non-communistes aient bloqué les politiques communistes au sein du gouvernement tout au long de l’année 1947, ils n’avaient aucune stratégie commune concernant les prochaines élections – seulement un désir commun de vaincre les communistes de manière décisive. Les communistes, en revanche, envisageaient d’obtenir une majorité absolue lors des prochaines élections avec l’aide des sociaux-démocrates.
La tension entre les deux factions se transforma en une crise sur la question de savoir qui devait contrôler la police. Le ministre de l’intérieur communiste s’opposa à la nomination de fonctionnaires non communistes à des postes supérieurs de la police. En signe de protestation, la plupart des ministres non communistes ont démissionné le 20 février 1948 ; ils espéraient que la paralysie du gouvernement obligerait Gottwald et les ministres communistes à démissionner eux aussi. Au lieu de cela, les communistes s’emparent des ministères détenus par les ministres démissionnaires ainsi que des sièges des partis désormais dans l’opposition.
A la suite de manifestations massives dans les rues de Prague d’ouvriers dirigés par des communistes, dont beaucoup sont armés de fusils, le président Beneš cède. Le 25 février, il a autorisé la formation d’un nouveau gouvernement, dans lequel les communistes et les sociaux-démocrates de gauche occupaient les postes clés. Les autres partis du Front national étaient nominalement représentés par des membres individuels choisis non pas par les partis eux-mêmes, mais par les communistes. L’Assemblée nationale provisoire approuva massivement le nouveau gouvernement et son programme.
La plupart des dirigeants politiques non communistes, risquant d’être emprisonnés, fuirent le pays ; ils furent rejoints par de nombreuses personnes ordinaires qui se dirigèrent vers l’Ouest pour éviter de vivre sous le communisme. En signe de leur force triomphante, les communistes conservent Masaryk comme ministre des affaires étrangères, mais le 10 mars, son corps est retrouvé sous une fenêtre du ministère des affaires étrangères. Du jour au lendemain, le parti communiste était devenu le seul corps organisé restant pour diriger le pays.
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