À notre connaissance, il s’agit de la première étude sur la prévalence de l’ETM et la corrélation avec les caractéristiques détaillées des crises de migraine de la vie normale. Les deux principaux résultats de cette étude sont les suivants : i) Les crises d’ETM ont été signalées par 38% des migraineux et plus de la moitié d’entre eux ont abandonné le sport incriminé en conséquence. ii) Au cours des crises de la vie normale, la douleur au cou comme symptôme initial de la migraine a été signalée plus fréquemment chez les migraineux avec des crises d’ETM par rapport aux migraineux sans crises d’ETM.
Plusieurs déclencheurs de migraine ont été signalés par les patients migraineux. L’exercice, bien qu’il ne soit pas aussi souvent rapporté que le stress ou les troubles du sommeil par exemple, est l’un d’entre eux . L’existence de ces déclencheurs fait l’objet de nombreux débats car les déclencheurs présumés peuvent coïncider avec la migraine par simple hasard et le biais de rappel est susceptible d’affecter les études rétrospectives. Seules quelques études ont rapporté des patients qui ont été suivis de manière prospective et qui ont été systématiquement capables de déclencher des crises en faisant de l’exercice .
Pour minimiser la possibilité que les crises présumées provoquées par le sport chez nos patients étaient en fait des crises de la vie normale survenant par coïncidence pendant ou après l’exercice, nous avons demandé à ces patients s’ils avaient abandonné l’exercice incriminé en raison de plaintes migraineuses. C’était le cas chez plus de la moitié des patients déclarant une ETM. En outre, ces patients ont pu pratiquer des exercices d’intensité plus faible au cours desquels ils n’ont subi aucune crise. Ces deux résultats rendent moins probable le hasard comme explication possible de la relation entre l’exercice et l’ETM.
Si nous considérons que la relation entre l’exercice et la migraine est causale, alors quel est le mécanisme physiopathologique sous-jacent ? Un mécanisme possible est le dysfonctionnement de neuropeptides comme l’hypocrétine qui jouent un rôle dans la régulation du sommeil et de l’éveil et qui sont situés dans des structures du tronc cérébral qui sont sélectivement activées pendant les crises de migraine. Les patients rapportent souvent que le sommeil est capable de mettre fin à une crise de migraine, et que la qualité du sommeil est affectée négativement par un exercice intense et sévère. Il est donc possible que l’exercice puisse influencer cette voie de l’hypocrétine et ainsi déclencher des crises.
Un deuxième mécanisme possible est d’origine cardiovasculaire. L’exercice aérobie augmente le débit cardiaque et la pression artérielle systolique. Il est possible que cette augmentation du débit cardiaque et de la pression artérielle systolique déclenche les crises d’ETM. Cette hypothèse est soutenue par l’observation que l’utilisation de bêta-bloquants (qui abaissent le débit cardiaque et la pression artérielle systolique) peut prévenir la survenue des crises d’ETM. Il a également été démontré que les migraineux ont un contrôle autonome altéré de la vasoréactivité cérébrale, ce qui les rend plus vulnérables aux changements cardiovasculaires majeurs. Le fait que dans notre étude, la majorité des patients présentant des crises d’ETM ont cessé de pratiquer des exercices de haute intensité, mais ont pu continuer d’autres exercices de faible intensité, favorise l’hypothèse selon laquelle les augmentations du débit cardiaque et de la pression artérielle sont des facteurs éventuellement associés aux crises d’ETM.
Une troisième explication repose sur un métabolisme énergétique défavorable. Les athlètes s’exerçant à une intensité supérieure à leur seuil aérobie vont passer à un métabolisme anaérobie. Le sous-produit de cet exercice anaérobie est le lactate. La spectroscopie par résonance magnétique (SRM) a montré qu’un taux de lactate cérébral plus élevé était associé à une plus grande fréquence des migraines. Une autre étude de SRM a conclu que le métabolisme énergétique des migraineux est défectueux, avec un taux lent de récupération de la phosphocréatine après l’exercice du muscle chez les migraineux . Ainsi, alors que l’exercice de haute intensité entraîne une augmentation du lactate sanguin, et que les migraineux ont un métabolisme énergétique défectueux et qu’un lactate cérébral plus élevé est associé à une fréquence de migraine plus élevée, cela pourrait expliquer le déclenchement des crises de migraine par l’exercice de haute intensité.
Nous avons constaté que la douleur au cou comme symptôme initial de la migraine était plus fréquente chez les migraineux avec ETM. Aucune étude précédente n’a signalé que des symptômes spécifiques de la migraine étaient plus fréquents chez les patients subissant des crises d’ETM. Pendant la phase douloureuse de la migraine, le complexe trigéminal est activé et des neuropeptides sont libérés au niveau des terminaisons nerveuses périphériques. La douleur cervicale dans les crises de migraine peut s’expliquer par l’activation des fibres nerveuses des hautes cervicales qui ont leurs terminaisons dans le trijumeau caudal. Il est possible que l’occurrence accrue de douleurs cervicales dans le groupe ETM soit comparable à l’allodynie, car les patients souffrant d’allodynie ont rapporté plus de déclencheurs que les patients sans allodynie .
Limitations
Une limitation est la conception rétrospective de l’étude, donc le biais de rappel pourrait avoir influencé les résultats. En outre, lorsque les patients sont interrogés pour savoir si des événements spécifiques pourraient déclencher des attaques, leurs réponses sont sujettes à la croyance et aux conceptions. Cependant, contrairement à des déclencheurs bien connus comme le stress et certains aliments, l’exercice n’est généralement pas considéré comme un déclencheur, de sorte que ce biais pourrait être limité. Comme il s’agissait d’une étude clinique dans un centre de maux de tête, les patients migraineux de cette étude pourraient avoir été plus sévèrement affectés que ceux de la population générale. Il est possible que cela ait influencé la prévalence à vie des crises d’ETM rapportée dans cette étude. À l’avenir, des études prospectives de journal intime devraient être menées, dans lesquelles chaque activité d’exercice (et aussi d’autres déclencheurs de confusion possibles) et chaque crise de migraine doit être enregistrée.