Pour la plupart des Américains, les images de la Seconde Guerre mondiale constituent leur introduction au banzai cheer. Ce cri reste étroitement associé au militarisme et aux atrocités de la guerre. Les images de pilotes kamikazes criant « banzai » et agitant leurs bras à l’unisson ont un effet similaire à celui du salut nazi. Sans compter que cette acclamation paraît étrange à beaucoup d’entre nous, car la culture américaine n’a pas de véritable équivalent, à l’exception peut-être des acclamations sportives. Pour les fans d’anime, le hourra apparaît comme une bizarrerie humoristique que les personnages exécutent pour encourager les autres. Enfin, pour les observateurs du Japon, le cheerleading apparaît comme un élément de la politique. On voit des politiciens crier banzai et pomper leurs bras comme l’avaient fait les pilotes kamikazes.
Selon les dictionnaires, le mot banzai signifie littéralement dix mille ans. L’origine du mot vient du mot chinois wansui et date approximativement du début de la période Meiji, vers 1890 (banzai, n.d.). Banzai est considéré comme une interjection et est apparenté aux interjections anglaises inutilisées comme hurrah et yippee. Le meilleur équivalent est peut-être le cri britannique « Long live the king/queen ». Il peut signifier « Longue vie à l’empereur ». Aujourd’hui, banzai est juste un cri d’allégresse.
Banzai et les règles d’émotion japonaises
Le Japon est connu pour son souci de l’apparence sociale ou, en d’autres termes, des règles d’émotion. L’explosion d’émotions de Banzai peut être déroutante, mais dans la culture japonaise, les émotions servent de » colle sociale » (Matsumoto, 1996). Après tout, ce ne sont pas des Vulcains. Les démonstrations extérieures d’émotion dépendent du contexte social, déterminant à quel point les émotions doivent être exprimées bruyamment.
Une étude de David Matsumoto (2002), a évalué comment les Américains et les Japonais évaluent les expressions extérieures d’émotions. Les Américains ont évalué les expressions externes d’émotions comme étant plus intenses, tandis que les Japonais ont évalué de la même manière les expressions d’émotions silencieuses et les expressions externes plus fortes. Les sujets japonais de l’étude étaient également mieux à même de déterminer les véritables émotions avec un minimum d’indices que les Américains. Cela s’explique par le fait que la culture japonaise contient des règles sur la manière d’exprimer une émotion. Pour les sujets japonais, le niveau d’émotion reste constant mais l’expression extérieure varie en fonction de la situation sociale. Les Américains ne disposent pas de telles règles et évaluent donc l’intensité d’une émotion en fonction de l’intensité de son expression. Les Japonais ne sont pas meilleurs que les Américains pour lire les émotions. C’est plutôt la culture qui encadre la façon dont les gens lisent et expriment les émotions.
Les banzai cheers semblent être des expressions d’exaltation de haute intensité pour les Américains, mais en réalité, les banzai cheers sont des manifestations extérieures socialement acceptables. L’émotion réelle pendant un banzai cheer peut être aussi élevée qu’un sourire de félicitation, mais le sourire peut être la seule expression socialement acceptable à ce moment-là. Le cheer sert également d’expression de groupe.
Malgré une culture axée sur la communauté, les Japonais n’ont généralement pas une réaction aussi forte aux nouvelles du monde que les Américains et les Européens. Les Américains et les Européens font moins de distinctions entre les groupes internes et les groupes externes que les Japonais, ce qui explique pourquoi les nouvelles négatives affectent les Américains et les Européens de manière personnelle (Matsumoto. 2002). Ceci est également lié à la façon dont les Américains considèrent l’intensité des émotions. La culture américaine étant axée sur l’individu et valorisant les pensées et les émotions individuelles, la dynamique de groupe a moins d’importance que les cultures collectives comme le Japon. Les règles émotionnelles se sont développées au Japon comme un moyen d’éviter la perturbation de l’harmonie sociale que l’expression d’émotions négatives peut causer (Novin, 2014).
Tatemae, Honne, et Banzai
Cette focalisation sur l’harmonie au détriment de l’expression individuelle relève de tatemae, ou l’apparence sociale extérieure. C’est l’ensemble des règles qui régissent la façon dont les émotions sont exprimées dans les situations sociales. Le honne, c’est-à-dire ce qu’une personne ressent vraiment, reste souvent inexprimé car il peut menacer l’harmonie. Dans la culture américaine, nous avons notre propre version de tatemae et de honne. Les mensonges blancs relèvent de tatemae. Il en va de même pour la suppression des jurons en présence d’enfants. Cependant, comme la culture américaine valorise l’individu avant la communauté, nos règles de tatemae sont moins envahissantes. La culture américaine affirme qu’il est malsain de refouler nos sentiments personnels. Par conséquent, la culture américaine peut passer pour abrasive pour beaucoup.
Dans le même temps, l’individualisme américain nous empêche d’avoir quelque chose comme une acclamation banzai en dehors des stades sportifs et des quelques autres lieux collectifs que nous avons. Quand on y pense, les chants et les acclamations des sports cherchent à créer des liens entre les fans d’une certaine équipe. De la même manière, les acclamations banzaï forment des liens entre les participants.
Banzaï et anime
Parfois, le banzaï est utilisé pour un effet comique dans les anime. Une scène de Samurai Champloo me vient à l’esprit :
La acclamation banzai utilisée dans cette scène est une façon d’exprimer sa gratitude envers le kami du lac. Les kami sont des êtres spirituels que l’on retrouve dans tout le folklore japonais et les croyances shintoïstes. Le banzai cheer sert également de point final à la scène comique. Le cheer et son rôle dans l’anime dépendent du contexte.
banzai. (n.d.). Dictionary.com Unabridged. Consulté le 18 décembre 2016 sur le site de Dictionary.com http://www.dictionary.com/browse/banzai
Matsumoto, David. 1996. Démasquer le Japon : Mythes et réalités sur les émotions des Japonais. Stanford, CA : Stanford University Press.
Matsumoto, David,Theodora Consolacion, et autres (2002) American-Japanese cultural differences in judgments of emotional expressions of different intensities. Cognition et émotion. 16 (6) 721-747.
Novin, Sheida, Ivy Tso et Sara Konrath (2014) Self-related and Other-related Pathways to Subjective Well-being in Japan and the United States. J Happiness Stud 15. 995-1014.
Smith, Herman, Takanori Matsuno et Shuuichirou Ike (2001) La base affective des processus d’attribution chez les Japonais et les Américains. Social Psychology Quarterly 64(2) 180-194.
Il s’agit d’une étude de cas.